Pour Saadia Slaoui Bennani, la parité hommes-femmes reste “l’apanage de quelques grandes entreprises marocaines”
Le gouvernement a proposé, le 18 août dernier, un avant-projet de loi visant à réaliser la parité hommes-femmes dans les organes de gouvernance des sociétés anonymes. Saadia Slaoui Bennani, présidente de la Commission Entreprise responsable et citoyenne de la CGEM, livre quelques pistes pour, enfin, y parvenir.
Saadia Slaoui Bennani, qui est également membre de la CSMD, souligne la nécessité d’une “stratégie nationale pour l’application des dispositions de la Constitution en matière de parité et d’égalité des chances”.
Fin du plafond de verre pour les femmes dans les organes de gouvernance des entreprises ? Le 18 août dernier, le gouvernement a dévoilé un avant-projet de loi modifiant et complétant la loi n° 17.95 relative aux sociétés anonymes. Comme l’explique le ministère du Commerce et de l’Industrie dans le préambule du texte, le but de cette réforme est de “réaliser l’objectif gouvernemental de faire figurer le Maroc dans le top 50 du classement Doing Business”.
Parmi les mesures phares de l’avant-projet de loi, la parité hommes-femmes dans les organes de gouvernance des sociétés anonymes (article 39). Le texte ne détaille cependant pas les outils à même de réaliser cette parité. Véritable révolution ou vœu pieux, nous avons posé la question à Saadia Slaoui Bennani, présidente de la Commission Entreprise responsable et citoyenne de la CGEM et membre de la CSMD.
TelQuel : Quelle est la situation dans les grandes entreprises marocaines ? Estimez-vous que la présence des femmes dans les organes de décision reste marginale et limitée à quelques grandes entreprises ?
Saadia Slaoui Bennani : Tout d’abord, il serait judicieux de rappeler quelques chiffres relatifs à l’emploi des femmes au niveau national ainsi que leur représentativité au sein des instances de gouvernance. Le taux d’activité des femmes est de 21,5 % au niveau national. Ce taux est de 19,5 % en milieu urbain et 27,1 % en milieu rural (HCP). L’entrepreneuriat féminin se situe entre 10 et 12 %, et la part des femmes dirigeantes d’entreprise oscille entre 3 % et 17 % selon le secteur d’activité, en l’occurrence 2,6 % pour la construction, 12,6 % et 13,8 % pour l’industrie et le commerce et 17,3 % dans les services.
“Le taux de présence des femmes dans l’ensemble des administrations des entreprises publiques est de 5 % et atteint 7 % pour le secteur privé”
Il faut aussi rappeler que le taux de présence des femmes dans l’ensemble des administrations des entreprises publiques est de 5 % et atteint 7 % pour le secteur privé (MAGG, ONU Femmes, IMA). Si l’on se réfère à l’étude de la BAD de 2015 sur les femmes dans les conseils en Afrique, le Maroc s’est classé 11e sur les 12 pays africains étudiés.
En 2020, les sociétés cotées comptent 15 % de femmes administratrices. À titre de comparaison, la féminisation des conseils d’administration avait atteint en France 43,7 % pour l’ensemble des sociétés du SBF 120. Par ailleurs, sur les 73 sociétés cotées, on dénombre 5 femmes chefs d’entreprise et 60 % des entreprises cotées n’ont aucune femme administratrice.
Les différents chiffres exposés donnent une vue d’ensemble sur la situation et la représentativité des femmes au sein des organes de gouvernance des entreprises marocaines. Malgré de notables avancées et l’inscription du principe de parité au niveau de la Constitution de 2011, il existe un déficit de représentation des femmes dans les équipes dirigeantes ainsi qu’au niveau des instances de décisions des entreprises marocaines.
La présence des femmes reste ainsi l’apanage de quelques grandes entreprises marocaines alors que de nombreuses études ont permis de démontrer la corrélation entre la présence de femmes dans les postes à responsabilité et l’amélioration de la performance économique. Il est nécessaire de réaliser plus d’efforts pour promouvoir la participation féminine à haut niveau de responsabilité.
Pensez-vous qu’il existe un plafond de verre au Maroc qui empêche les femmes d’accéder aux hautes fonctions dans les grandes entreprises ? Avez-vous constaté une amélioration ces dernières années ?
Aujourd’hui, les disparités entre les sexes ont tendance à se réduire dans le monde du travail, et ce de par le monde. Les responsabilités des femmes augmentent et le “plafond de verre” ainsi que les “parois de verre” (en référence au cloisonnement métiers) commencent à se fissurer, mais l’écart persiste toujours, surtout au niveau national, malgré quelques améliorations.
“Sur les 602 administrateurs au sein des 73 sociétés cotées, 89 sont des femmes, soit un taux de représentation de 15 % contre 9 % seulement en 2012”
Les raisons à cela sont profondes : ce sont des contraintes socioculturelles avec un enracinement de stéréotypes ou simplement des représentations mentales un peu figées qui perdurent chez les hommes comme chez les femmes. En effet, bien que le dispositif juridico-institutionnel des entreprises soit basé sur la neutralité et l’égalité des chances entre les deux sexes, on en est loin dans la réalité.
Toutefois, la situation s’améliore et augure d’une évolution plus importante dans les prochaines années. La diversité et la mixité sont de plus en plus acceptées au sein des entreprises marocaines, parce que cela offre un véritable levier de croissance à l’entreprise. Ainsi, à titre d’exemple, sur les 602 administrateurs au sein des 73 sociétés cotées, 89 sont des femmes soit un taux de représentation de 15 % contre 9 % seulement en 2012.
Selon vous, comment pourrait s’appliquer cette loi sur la parité ? Cela passerait-il par un quota à respecter ? Par des sanctions pour les entreprises qui ne s’y conforment pas ? Ou encore par un label de responsabilité sociale ?
Des mesures contraignantes permettront d’améliorer la représentativité des femmes dans les organes de gouvernance, comme le montre le taux de représentativité au niveau de pays comme la France ou la Norvège. La mise en place d’un quota progressif et évolutif est ainsi un levier d’action à considérer : 30 % de femmes présentes au niveau des instances de gouvernance à atteindre dans les 3 ans et 40 % à atteindre après 6 ans.
Toutefois, l’arsenal pourrait être renforcé avec des sanctions dissuasives, comme la nullité de nominations survenues en violation du quota ou encore des sanctions pécuniaires qui peuvent être également progressives. En outre, des mesures incitatives peuvent être mises en place pour promouvoir la parité, mais aussi et surtout l’évolution professionnelle des femmes.
Saadia Slaoui Bennani plaide pour la mise en place d’un quota progressif et évolutif : 30 % de femmes au niveau des instances de gouvernance à atteindre dans les 3 ans et 40 % à atteindre après 6 ans.
Il existe par ailleurs des outils de certification qui permettent d’évaluer les engagements des entreprises dans ce sens, notamment la certification EDGE qui est un standard international de référence pour évaluer les engagements des entreprises en matière d’égalité professionnelle femmes-hommes à tous les niveaux de la pyramide (taux de mixité, inégalités salariales…) ou encore le label RSE de la CGEM, dont le référentiel est constitué par la charte RSE de la CGEM mise en place en 2006.
Cette charte est structurée en 9 axes d’engagement définissant chacun des objectifs de stratégie et de conduite managériale précis. Ces objectifs sont en phase avec les orientations et les lignes directrices de la norme ISO 26000. Au niveau de cette charte, les axes relatifs au “respect des droits humains” et “au renforcement du gouvernement d’entreprise” consacrent l’égalité femmes-hommes ainsi que la représentation des femmes au sein des instances de gouvernance. Les entreprises candidates au label RSE de la CGEM sont ainsi évaluées à la lumière des différents axes de la charte pour prétendre à son obtention.
Quels sont, selon vous, les efforts à faire pour changer la culture des entreprises marocaines et encourager les femmes à accéder aux responsabilités ?
Il y a lieu de rappeler que de nombreuses études ont montré une corrélation positive entre le nombre de sièges occupés par les femmes au sein des conseils d’administration et la performance financière, non financière et boursière des entreprises. En outre, les agences de notation, telles que Moody’s, incluent la parité dans les conseils parmi leurs critères pour évaluer le risque de gouvernance des compagnies non financières.
Dans ce sens, nous proposons une liste de recommandations permettant de promouvoir l’accès des femmes aux postes à responsabilité, notamment d’adopter une stratégie nationale pour l’application des dispositions de la Constitution en matière de parité et d’égalité des chances. Cette stratégie va renforcer la discrimination positive au niveau politique et économique favorisant une meilleure représentativité des femmes dans les organes de décision des entreprises publiques et privées et en tant qu’administrateur indépendant.
Nous demandons aussi l’opérationnalisation de l’APALD (Autorité pour la parité et la lutte contre les discriminations) et la doter d’un pouvoir de décision et non de consultation. Il faut aussi initier des dispositions flexibles de travail pour les femmes pour permettre la conciliation vie privée-vie professionnelle : télétravail, temps partiel, souplesse des horaires…
Parmi les autres mesures à adopter pour encourager la parité homme-femme, nous suggérons de favoriser le réseautage, communiquer sur des success-stories, développer des programmes de mentoring et des plans de formation en leadership pour les femmes. Mais aussi de mettre en place des mesures incitatives aux entreprises inclusives qui instaurent la parité dans leurs différentes instances de gouvernance, et enfin d’intégrer le principe de l’égalité entre les femmes et les hommes en tant que fondement de la citoyenneté marocaine dans les programmes éducatifs.
Article Telquel du 17 septembre 2020
Par Soufiane Chahid