A l’exception de l’Afrique australe qui souffre d’une croissance molle impactée par la récession technique de l’Afrique du Sud au second semestre 2018, les performances économiques générales du continent continuent de s’améliorer. Encore plus engageant pour les entreprises africaines, l’intégration s’accélère à un rythme soutenu, favorisant les échanges et les investissements intracontinentaux. A cela s’ajoute quelques marchés à fort potentiel qu’il faut surveiller de près.
Les mots du président de la Banque Africaine de Développement en introduction du rapport annuel de l’institution sur Les Perspectives économiques en Afrique pour 2019 se veulent d’une rare limpidité : « La situation du continent est bonne». Certes, les pays d’Afrique font toujours face aux sempiternels défis structurels de déficits budgétaires et de vulnérabilité face à la dette, sans compter des facteurs exogènes potentiellement néfastes tels que les impacts du changement climatique, le renforcement du dollar américain ou le regain de tensions commerciales au niveau international. A l’échelle continentale cependant, les moteurs fondamentaux de la croissance économique sont bel et bien dans une phase de rééquilibrage. La croissance africaine a atteint 3,5 % en 2018 selon les dernières estimations, soit un niveau comparable à 2017 et en hausse de 1,4 point par rapport aux 2,1 % enregistrés en 2016. Mieux, elle devrait s’accélérer pour atteindre 4 % en 2019 et 4,1 % en 2020, soit des niveaux supérieurs aux autres zones en voie de développement à travers le monde. L’Afrique du Nord représente à elle seule 40% de la croissance projetée pour 2019. Bien qu’impactée par la crise politique et humanitaire en Lybie, la zone est portée par des politiques budgétaires expansionnistes, des campagnes agricoles satisfaisantes et des niveaux de performances touristiques en hausse en Egypte, en Tunisie et au Maroc.
Audacieuse Afrique de l’Est
Bien que sa contribution à la croissance du continent demeure encore limitée, le développement économique de l’Afrique de l’Est est le plus véloce du continent. La croissance du PIB de la zone devrait croître de 5,9% en 2019 et de 6,1% en 2020. La Tanzanie, le Rwanda, le Kenya, Djibouti ou l’Ethiopie annoncent tous des niveaux de croissance extrêmement robustes. En outre, les pays de la zone affichent une motivation renouvelée pour intégrer leur secteur financier respectif et accroître les synergies douanières. A cela s’ajoute l’intérêt grandissant des investisseurs pour la zone, la Communauté de l’Afrique de l’Est (CAE) a en effet bénéficié de la plus forte croissance des IDE du continent sur la période 2011-2017. L’Ethiopie, ses 105 millions de consommateurs, ses 8% de croissance annuelle et son régime politique renouvelé attirant à elle seule 60% des flux. Les pays de la région, mis à part le Soudan qui demeure rongé par une guerre civile, se caractérisent tous par une forte consommation intérieure, des investissements publics dans les infrastructures en constante hausse, une croissance de l’industrie légère et une bonne performance du secteur agricole.
Des colosses aux pieds d’argile
La dynamique n’est pas forcément la même pour les deux « géants » africains que sont le Nigeria et l’Afrique du Sud. Les deux premières économies du continent souffrent respectivement d’une trop grande vulnérabilité aux aléas des cours des hydrocarbures, d’une menace terroriste latente d’un côté et d’une perte de confiance des entreprises et de la lenteur des réformes structurelles de l’autre. Le Nigeria, première économie du continent, enregistre d’ailleurs une baisse des investissements étrangers depuis 2016. Alors que les IDE en Afrique ont affiché une hausse de 6% en 2018, le colosse pétrolier a constaté une chute de 36% de son flux d’IDE par rapport à 2017. Le manque d’impact des réformes politiques mises en place ainsi que le climat sécuritaire délétère étant les principales raisons de cette baisse d’intérêt des investisseurs. Quant à l’Egypte, troisième puissance économique du continent, elle renoue petit à petit avec la croissance, grâce à des réformes ambitieuses, à l’image de la flottaison de la livre égyptienne qui a considérablement stimulé l’intérêt des investisseurs et le lancement de grands projets d’infrastructures incluant des villes nouvelles et des zones franches industrielles. Le Caire peut aussi compter sur les importants gisements de gaz découverts récemment qui devraient lui permettre de réduire sa facture d’importation. Ces indicateurs positifs ne doivent toutefois pas occulter le fait que la croissance égyptienne se fait surtout via un endettement très soutenu qui commence à inquiéter sérieusement les bailleurs de fonds. La dette extérieure du pays a progressé de 12% depuis le début de l’année 2019, dépassant la barre symbolique des 100 milliards de dollars.
Une confiance solide dans l’Afrique de l’Ouest
Selon le dernier sondage Havas Horizon qui scanne la perception et les intentions des investisseurs à propos du continent, 80 % d’entre eux envisagent d’y renforcer leurs positions à l’horizon 2023. Une région en particulier concentre l’appétence des opérateurs économiques : l’Afrique du l’Ouest. 64% des sondés souhaitent y renforcer leurs investissements, contre seulement 31% dans la région de l’Afrique australe et 16% en Afrique centrale. Le dynamisme des locomotives de la zone y est pour beaucoup, à l’instar de la Côte d’Ivoire, qui affiche une prévision de croissance de 7,5% pour l’année 2019. Avec un secteur tertiaire énergique, en particulier les segments de la finance et des télécommunications, Abidjan peut aussi compter sur une classe moyenne émergente et des exportations en constante augmentation. C’est d’ailleurs le seul pays de l’Union Economique et Monétaire de l’Afrique de l’Ouest (UEMOA) qui possède une balance commerciale excédentaire. Son plus proche voisin, le Ghana, ne sera pas moins que l’économie la plus dynamique du monde en 2019, selon de récents chiffres du Fonds Monétaire International (FMI). Son taux de croissance devrait atteindre 8,8% permettant au Ghana de passer de la catégorie des pays « à faible revenu » à celle des états « à revenu faible à intermédiaire ». Cet état anglophone de 30 millions d’habitants, caractérisé depuis une vingtaine d’années par une bonne gouvernance, engrange les succès. En février 2019, Google a ouvert son premier centre d’intelligence artificielle en Afrique à Accra, consacrant l’émergence de son économie digitale. En 2018, avec 158 tonnes produites, le Ghana est devenu le premier producteur d’or du continent, devant l’Afrique du Sud. Enfin, entre 2000 et 2017, les importations de machines ont été multipliées par quatre, un signal fort de la transformation industrielle de l’économie ghanéenne.
D’un continent peu intégré…
Pour autant, ces bonnes performances économiques régionales et ces « success-story » nationales ne doivent pas occulter le fait que le continent africain demeure le plus fragmenté du monde. Il dénombre 16 pays enclavés et une myriade de petits pays. Cette fragmentation des marchés nationaux donne lieu à des déséconomies d’échelle, qui entravent gravement le développement économique. Selon la BAD, 76 % des pays africains en 2017 comptaient moins de 30 millions d’habitants et la moitié d’entre eux avaient un PIB inférieur à 10 milliards de dollars. Une plus grande intégration du marché des biens, des services, des infrastructures et des principaux facteurs de production est donc une condition sine qua none à l’accroissement de la compétitivité et de l’attractivité de l’Afrique au niveau global. Une telle intégration favoriserait la production agricole et industrielle au-delà des frontières et permettrait aux investisseurs de faire des économies d’échelle, tout en créant des marchés beaucoup plus vastes en offrant de nouvelles opportunités aux entreprises africaines de toutes les tailles. Elle contribuerait également à améliorer les retombées transfrontalières entre pays côtiers et pays enclavés, sans compter les effets positifs que davantage de commerce peut avoir sur la diminution des conflits régionaux.
… à la promesse séduisante d’une Afrique sans frontière
En mars 2018 à Kigali, les dirigeants africains ont fait un grand pas en avant vers plus d’intégration lorsque 44 des 54 pays africains ont signé la Zone de Libre-échange Continentale Africaine (ZLECA), l’accord commercial le plus important, signé depuis la création de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC). La ZLECA rassemble 1,3 milliard de personnes et un Produit Intérieur Brut (PIB) combiné de plus de 2 600 milliards de dollars. S’il est ratifié par suffisamment de pays, il deviendra l’un des plus grands blocs commerciaux du monde. En avril 2019, le seuil de ratification nécessaire de l’accord a été atteint avec la signature de la Gambie qui rejoint 21 autres pays comme le Kenya, le Rwanda, le Ghana ou le Maroc. La ZLECA devrait donc être officiellement adoptée au sommet de l’Union Africaine de Niamey en juillet prochain. Une récente modélisation de la Commission économique pour l’Afrique (CEA) prévoit que la ZLECA pourrait accroître le commerce intra-africain de 52,3 % par an. Aujourd’hui, les échanges intra-africains ne représentent que 15% du total des échanges sur le continent, contre 67% pour les flux commerciaux intra-européens.
L’entrée en vigueur de la zone et son élargissement éventuel à l’ensemble du continent devraient avoir un impact significatif sur un secteur clef : l’agriculture. Le commerce agricole intra-africain est en effet spécifiquement sous-exploité. En 2015, les pays africains ont dépensé environ 63 milliards de dollars US en importations de produits alimentaires, provenant en grande majorité de l’extérieur du continent. Les modélisations analytiques de la CEA prévoient une augmentation de 20% à 30% des échanges intra-africains de produits agricoles en 2040 avec la mise en place de la zone, notamment pour le sucre, les légumes, les fruits, les boissons et les produits laitiers. L’adhésion et l’opérationnalisation de la zone auront donc non seulement des incidences positives en termes de croissance économique, mais elles permettront également le renforcement de la sécurité alimentaire de l’Afrique.
Le changement vers une plus grande intégration est déjà en train de s’opérer sur le continent et cette évolution est en grande partie portée par le secteur privé : entre 2006-2007 et 2015-2016, le montant moyen des investissements directs africains, engagé par des entreprises africaines sur le continent, a presque triplé, passant de 3,7 à 10 milliards de dollars. Au cours de la même période, le nombre moyen de transactions transfrontalières formelles au sein du continent a doublé avec plus de la moitié d’entre elles menée par des entreprises africaines. Enfin, de plus en plus d’initiatives portent à croire que les pays du continent se dirigent vers plus d’ouverture les uns envers les autres. Après 20 ans de guerre froide, l’Ethiopie et l’Erythrée ont rouvert leurs frontières en janvier 2019. En février, l’Union du Maghreb Arabe (UMA) a annoncé qu’elle relançait le projet de ligne ferroviaire trans-maghrébine, dont l’objectif est de relier Tunis à Rabat en passant par Alger sur 2340 km. Plus récemment, la BAD a assuré que les travaux du pont reliant Brazzaville et Kinshasa seront lancés en août 2020. Ce projet, structurant pour les deux capitales les plus rapprochées du monde, permettra la circulation des personnes et des marchandises grâce à une route et à une voie ferrée qui enjambera le fleuve-frontière large de quatre kilomètres. A l’aube des années 2020, ce pont entre les deux Congo est un symbole encourageant pour le reste de l’Afrique, dont l’avenir restera intimement lié à sa capacité à se développer de manière inclusive.
Auteur :
Alexis Reynaud
Consultant Senior chez Valyans